Martine Lombard, auteure et interprète strasbourgeoise d’origine allemande, a publié son recueil de nouvelles Passe-passe aux Éditions Médiapop, en 2021. Originaire de Dresde, elle vit en France depuis de nombreuses années et publie pour la première fois en langue française, son premier roman ayant paru en Allemagne en 2019. Nous l’avons rencontrée au salon L’Autre Livre de Paris en novembre dernier, elle s’est confiée sur son livre et son travail d’écriture.
L’auteure
Née en 1964 à Dresde, en Allemagne de l’Est, Martine Lombard se passionne très tôt pour la langue, dans laquelle elle trouve des espaces de liberté. En allemand tout d’abord, puis en Français, en anglais ou en russe. À l’âge de 22 ans, elle quitte la RDA et s’installe à Paris, où elle obtient le diplôme d’interprète de conférence à l’École Supérieure des Interprètes et de Traducteurs (ESIT). Elle travaille alors en tant qu’interprète au sein de la Commission Européenne à Bruxelles, puis retourne vivre à Paris avant de s’installer à Strasbourg. Elle travaille également pour la chaîne culturelle ARTE et pour diverses organisations internationales. Avec l’envie d’explorer les possibilités de sa langue d’adoption, elle publie en 2021 Passe-passe, son premier livre écrit en français.
Des nouvelles sensibles
Rêver, s’adapter, lutter, changer, se souvenir, revivre, transmettre, avancer : voilà ce qu’annonce la 4ème de couverture du livre de Martine Lombard, à propos de ces treize nouvelles que contient Passe-passe. Des personnages qui sont à un tournant de leur vie. Martine Lombard aborde des thèmes aussi variés que l’amour, le manque affectif, l’exil, le handicap. Père de famille en perdition, mère parfaite qui dérape, cadre commercial en plein burn-out… L’on partage le fil de ces nouvelles dans l’intimité des personnages, de leurs doutes à leurs espoirs, en plein cœur de l’humanité. Grande amoureuse des mots, Martine Lombard explore les crises de vie avec beaucoup de tendresse et de finesse.
« Sa voix, son regard, il m’aimait tout simplement. Moi aussi, j’avais pensé l’aimer comme ça. Je lui ai souri, il ne se doutait de rien. J’en avais la gorge serrée. » (La mendiante et la princesse)
Le désir d’écrire
« J’ai eu très tôt le désir d’écrire et ensuite, j’ai arrêté. J’avais gagné un petit concours quand j’étais collégienne ; j’avais reçu une invitation au Cercle des ouvriers écrivains mais ça m’avait tout de suite repoussée parce que c’était politisé. J’ai eu des regrets ensuite car avec le temps, des talents auraient pu y être cultivés. Quand je suis arrivée en France, j’avais l’impression d’avoir perdu mes thématiques et de ne rien pouvoir raconter, puisque la réalité était différente. Quand on perd la matière… Je n’aurais pas été capable d’écrire sur l’immédiateté, parce que je ne le saisissais pas. Quand on écrit des poèmes, c’est peut-être plus facile, parce qu’on peut partir du ressenti, faire abstraction des choses. Donc il y a eu de nombreuses années où j’ai très peu écrit. Aussi parce qu’il fallait faire des études, travailler… Donc ça sommeillait en moi, mais je n’écrivais rien. »
De l’allemand au français
« Je ne savais pas si j’allais pouvoir écrire en français. J’ai eu tout d’abord un flash, avec cette scène dans une salle de bain, qui a donné la toute première nouvelle écrite de ce recueil, la baignoire » explique Martine Lombard. « Ce fut un grand plaisir d’écrire en français, puisque l’histoire se passe en France. Cette première nouvelle, la baignoire, m’a ouvert la porte de l’écriture en français. C’est une langue acquise pour moi, j’ai mes moyens mais ils sont plus limités qu’en allemand, donc cela a demandé un gros travail de correction. Il faut plusieurs étapes car il y a des choses que j’ai plus de mal à exprimer dans cette langue, surtout quand il y a des choses moins évidentes et faciles à dire. Au départ, j’avais donc envoyé La baignoire à mon éditeur. Il m’a contactée et ensuite le deal a été d’écrire une nouvelle par mois. »
Un déracinement
« Quand on a choisi un autre pays, est-ce qu’il reste toujours valable ? Il peut être remis en question, si les circonstances changent. Qu’est-ce qui fait qu’on se sent toujours chez soi ? Je crois que c’est Gertrude Stein, poétesse et écrivaine américaine, qui a dit qu’on a un pays natal, et un autre qui ouvre plus de liberté pour écrire. On n’est pas dans le cadre qui nous a toujours connu. Ce déracinement peut aussi réapparaitre tout d’un coup alors qu’on pensait qu’il ne serait plus jamais là. Mais j’ai aussi fait l’expérience que parfois, même chez soi, on peut ne pas se sentir forcément à sa place. Il y aussi l’idée de quitter un endroit où on a grandi, mais ça ne colle plus. Si on a vécu dans un autre pays, les couleurs ne seront plus jamais les mêmes. Chez soi, il y a une réduction de la gamme qui est possible. Souvent, les auteurs font ça car ils y étaient obligés par l’exil, leur langue ne comptant pas dans le pays où ils sont. Ils puisent aussi dans l’idée qu’il y a deux univers. Personnellement, je suis en France depuis 1986, avant la chute du mur de Berlin. J’ai vécu un peu en Belgique aussi. Après la chute du mur, j’ai pensé à retourner là-bas. Mais il me semble que les retours font un peu rétrécir les choses. »
Une écriture fine et lumineuse
« Il fallait que je me contente de mon niveau de français, je ne pouvais pas faire plus mais j’avais envie de raconter, je savais que la richesse allait se sentir autrement, pas en surface, plutôt comme un parquet lisse dans lequel il y a plein de strates et de choses dessous. C’est presque comme un jeu. Comme j’ai une formation d’interprète et de traductrice, on nous a beaucoup dit qu’il ne fallait pas écrire dans une autre langue que sa langue maternelle ! Bon, cela vaut pour des textes à traduire, pas pour des textes que l’on écrit soi-même. Mais j’ai dû quand même me débarrasser de cette idée-là, de ces complexes de la langue, en me disant que je sais faire mais surtout que j’ai envie de faire, et ça c’est presque comme un désir d’enfant qui dit : moi aussi je sais faire ! Je me souviens, quand j’ai commencé à écrire de petits poèmes, j’avais douze ou treize ans ; je rentrais de l’école où j’avais entendu un poème qui me plaisait, et je me suis dit que moi aussi, je pouvais m’y mettre. Sans prétention, mais avec ce désir. Écrire en français, c’est aussi parce qu’il y a une idée de proximité : j’habite en France depuis longtemps, donc mon public allemand est loin. Et au départ, en France, c’était l’inverse : je n’avais personne à qui m’adresser directement. »
L’inspiration
« Je m’inspire du réel. Quand ce n’est qu’imaginaire, on ne rend pas forcément justice à la profondeur des gens. C’est construit, ou alors on s’abroge une réalité qu’on ne connait pas si bien que ça, où on n’est pas chez soi en étant chez l’autre. Pour moi, c’est quelque chose de plus humble, ça peut ne pas être moi, mais ça passe par l’observation et par l’empathie. Il faut être prudent avec les thématiques qui ne sont pas les nôtres. Si ça nous dépasse, il faut savoir s’arrêter. Pour moi ça marche comme ça. Donc je vais plutôt aller chercher dans mon entourage. Et après on fantasme, c’est sûr, mais on peut mettre dedans ce qu’on sait, du monde et de la vie. C’est vrai que les gens peuvent être une surface de projection pour autre chose. Mais il faut quand même être sûr de l’univers que l’on raconte. Il faut que ce soit un peu comme une topographie, que ce soit un peu notre terrain. »
Les thématiques
« Mes thématiques évoluent. Beaucoup de mes nouvelles n’étaient pas prévues, mais elles ont refait surface tardivement ; on est parfois rattrapés par des choses anciennes. Les questions qu’on se pose changent, mais il y a des thématiques qui restent les mêmes, comme les relations, la question de la femme… Quelles sont les situations qui nous renforcent et nous rendent fortes ? Ces thématiques m’obsèdent, un peu, moi je vis la vie comme ça, avec des moments faits de joie mais aussi des moments angoissants, où les choses tournent de manière angoissante, et ces angoisses-là, on les a tous. C’est quelque chose d’universel, le sentiment de solitude, d’avoir peur d’être exclu de l’humanité quelque part, par quelqu’un qui vous rejette ou ne vous aime plus, ou alors parce que vous quittez un travail, ou que vous avez un ras le bol mais que vous ne pouvez pas le dire. Il y a tous ces moments où on décide de prendre un autre chemin, et parfois ça peut sembler catastrophique pour l’autre. Ce sont des moments de vie qui vont souvent nous faire avancer, mais qui peuvent être très douloureux. Parfois aussi, on se sent peu différents, on ne rentre pas dans un moule. On est peut-être son propre ennemi ou quelqu’un qui au contraire se fait du bien, qui veut sortir de son propre costume quand il est parfois un peu trop étriqué. »
Les nouvelles
« Vacances d’été »
« Selon moi, il y a un côté tragique dans l’idée qu’on n’arrive pas facilement à communiquer entre les générations. D’autant pour celles marquées par la guerre et qui ont pu développer des pathologies. Ça peut donner des parents un peu abîmés, des gens qui n’ont pas connu leurs propres parents, qui restent un peu narcissiques. Dans cette nouvelle-là, les parents étaient enfants sous Hitler, après ils ont traversé la RDA, après ils ont fait la RFA, c’est beaucoup pour une seule vie ! Quand les valeurs changent constamment, il faut encaisser ça, cela donne beaucoup d’amertume. Il y a souvent une incapacité à entrer dans la problématique de l’autre, cela enlève de l’empathie, parce qu’on est un peu centré sur soi-même. Le protagoniste est un peu entre deux chaises. Les raisons varient, mais on peut souvent transposer ça dans toute famille. Quand on n’a pas vécu les mêmes choses, les enfants ne veulent pas forcément savoir. Les enfants, ici, en savent très peu sur leur père. Il est comme un électron libre. »
« Couper les ponts avec les parents. Il suffirait de faire comme s’ils étaient déjà morts, pour s’habituer à l’idée. La mort des parents, ça se révise ? Peut-on faire leur deuil de leur vivant ? »
« La mendiante et la princesse »
« Dans mon corps, quelque chose se préparait et progressait tout seul. »
« C’est la nouvelle qui me marque le plus. La femme, Marthe, s’éjecte de sa propre vie, et je trouve ça très brutal. Tout est très irrationnel mais ça la renvoie à un très grand manque qu’elle a en elle, dans sa relation de couple, il y a un côté destructeur et très dur. Et tout ça dans un périmètre assez petit, dans une normalité de la vie, et d’un coup tout vole en éclat, alors qu’elle a un mari aimant. Pour moi c’est ça la vie, qui réserve des événements étranges, où on peut commettre des choses qui ne sont pas forcément raisonnables. Et peut-être aussi, dans la féminité, je trouve qu’on peut quand même sentir une sororité, quelque chose vers une autre femme, et s’embarquer plus loin pour évoluer. »
« Une exaltation, ça ne s’explique pas, ça vous tombe dessus. Ça vous saisit toute entière dès que vous voyez la personne. Sa présence vous remplit. Son absence vous vide. Ça vous propulse hors cadre. Pendant des semaines, j’ai navigué entre félicité et abandon, entre plénitude et privation, entre Ciel et Enfer. Je n’ai jamais autant vécu. J’aurais tout donné pour assouvir encore et encore cette ivresse. Mon chez-moi, Jean, mon fils Gabriel. Voilà qui est effrayant. »
Les projets de l’auteure
« J’ai plusieurs projets, mais ils ne marchent pas toujours au moment où on veut qu’ils marchent, comme si chaque chose avait besoin de son temps, de son moment. Et soudain une thématique se présente, à laquelle on n’avait pas pensé, c’est mouvant. En tout cas, j’observe le monde. J’ai envie de le travailler pour moi, comme une expérience : de la digérer, de la refléter. Mais je ne sais pas si je le ferai toujours. Il se peut qu’un jour ce soit vide, et là je n’insisterai pas. C’est plus que de l’inspiration, c’est une nécessité, l’écriture. Le jour où ça s’arrêtera, j’aurai l’impression d’avoir vidé ce seau, ce récipient. Et de ne plus avoir besoin de faire ça. Peut-être qu’il ne sera jamais vide, mais je ne peux pas le savoir. »
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