Un homme sans volonté de Marc Desaubliaux

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Marc Desaubliaux nous a accordé une interview autour de son livre Un homme sans volonté qui relate l’histoire d’un fils de bonne famille qui va souffrir toute sa vie durant de ses indécisions.

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Je suis né à Paris en 1953. J’ai toujours vécu à Paris et j’y suis toujours d’ailleurs. Je suis marié, j’ai des enfants et des petits-enfants. J’ai fait des études universitaires de droit, d’histoire-géographie et d’art. J’ai aussi beaucoup étudié la musique. Ça a été ma première forme d’expression dans mon enfance et puis après pendant mon adolescence. J’ai écrit de la musique. J’ai suivi des cours assez poussés d’harmonie et d’orchestration. Je jouais du piano et c’était vraiment pour moi très important. Et, à vrai dire, si j’ai basculé vers l’écriture un jour, c’est parce que je me suis aperçu qu’en matière de musique, j’avais atteint une certaine limite que je n’arrivais plus à dépasser. C’est-à-dire que je manquais de talent pour être très clair (rires).

Un jour, je me suis mis à écrire une petite nouvelle comme ça, pour m’amuser, et je me suis rendu compte que c’était pas mal, en toute modestie. J’ai eu envie de continuer et après je suis passé à un vrai roman, qui n’a pas été publié évidemment. Il y en a d’ailleurs beaucoup qui sont partis à la poubelle. Et puis en parallèle de cette vie-là, il a bien fallu que je gagne ma vie. J’ai travaillé pendant quarante ans au ministère de la Défense, dans la partie culturelle. Pour donner des exemples, je me suis occupé de l’entretien des monuments historiques de ce ministère (écoles militaires, Invalides et autres…). J’ai été rédacteur en chef d’un journal d’histoire du ministère qui portait sur les grands conflits du 20e siècle. Et après, quand ma carrière d’écrivain a commencé à décoller doucement, j’ai démissionné de mon travail pour me consacrer complètement à l’écriture.

Ce qui m’a poussé à écrire, c’est que j’avais un besoin de m’exprimer. La musique était une façon de s’exprimer, l’écriture en est une autre. Et j’ai eu la chance de croiser quelques grands écrivains un peu par hasard dans ma vie. Je pense à Gilbert Cesbron qui est le premier que j’ai rencontré et qui m’a encouragé à écrire. Et j’ai croisé très très brièvement Henry de Montherlant, quelques mois avant sa mort, et qui m’avait beaucoup impressionné : ça aussi ça vous donne envie d’écrire.

Pendant un moment, j’ai écrit mais je n’avais pas envie de publier. Et c’est là que je suis tombé un peu par hasard sur monsieur Axas, qui m’a dit : « Vos livres sont bien. Il faut absolument les publier. » Donc là je me suis mis à publier. Il faut savoir que j’appartiens à un milieu social où on n’écrit pas. Ça ne se fait pas. C’est pour ça que je faisais de la musique au départ, inconsciemment. Parce qu’avec la musique, les sentiments ne se voient pas. On ne met pas de mots dessus, donc c’est beaucoup plus compliqué. Et c’est très curieusement quand mes parents ont disparu que je me suis complètement libéré et que j’ai pu écrire.

Un homme sans volonté est votre 7e roman. De quoi parle-t-il ?

C’est le parcours de l’enfance jusqu’à l’âge de 25-30 ans (pour l’essentiel car lorsque l’histoire se termine le personnage a 60 ans) d’un homme qui s’appelle Louis Puissonnier-Tavernier qui appartient à la grande bourgeoisie parisienne et qui a tout pour réussir dans la vie. Il vit dans un milieu privilégié. Il habite dans un quartier huppé de Paris. Son père est agent de change. Enfin bon, il a tout ce qu’il faut. Et on lui fait comprendre très vite qu’il va reprendre la charge d’agent de change de son père. Et curieusement, ce garçon manque complètement de volonté. C’est-à-dire qu’il ne réussit rien, il ne va jamais au bout de ce qu’il entreprend. Il ne sait pas ce qu’il veut. Il faut reconnaître que ce n’est pas facile pour lui car il a une famille étouffante (par des conventions, par des comportements qu’il faut avoir ou ne pas avoir). Il a une sœur à la maison qui s’appelle Eugénie qui est atteinte d’anorexie mentale, donc ça crée une ambiance assez pénible et tout tourne autour d’elle. Et lui il est oublié, parce qu’on considère qu’il va bien, qu’il n’y a pas de problème. Alors qu’en fait il va le vivre très mal. Donc il se débat comme il peut. Il est dans une grande solitude, et il n’a pas ses parents qui veillent sur lui pour lui dire : « C’est bien, continue ! » ou « Alors ça, tu fais comme ça. » Il est vraiment très seul.

C’est un élève médiocre quand il est enfant, mais il a un domaine dans lequel il a du talent : c’est la peinture. On lui trouve un professeur de peinture, mais là aussi il manque de persévérance. Très vite il laisse tomber, ça l’ennuie. Il ne veut pas apprendre : il estime que ce n’est pas nécessaire car il fait de la peinture abstraite. Il trouve que l’abstraction ne mérite pas de cours.

Il va quand même rencontrer quelqu’un dans sa vie qui va beaucoup compter. C’est une fille qui a à peu près son âge et qui s’appelle Carole-Anne, et qui est très différente de lui : elle est extrêmement fonceuse, extrêmement volontaire et est ouverte à toutes les expérimentations. Tout l’intéresse. Elle fait des études de photographie. Et elle va jouer un peu le rôle d’« expérimentatrice » notamment en matière sexuelle puisqu’ils vont avoir une relation sexuelle extrêmement compliquée, violente, dérangeante. Ils ont envie de se marier, mais ils ne se marient pas. Mais c’est surtout lui qui ne s’engage pas, il ne s’engage dans rien, jamais. C’est de la peur chez lui, et un manque de volonté.

Il va quand même lui arriver quelque chose qui va faire qu’il va risquer sa vie. Il a un grand copain qu’il a connu au collège qui est un enfant de russes immigrés pendant la Révolution, et Louis va se rendre en URSS à l’époque (dans les années 70) pour faire un voyage d’agrément bien sûr, mais aussi pour transporter des documents à des Russes qui font un peu de résistance au régime communiste. Donc il prend des risques, car c’est quand même pas facile, c’est dangereux. On pourrait dire qu’il est très courageux, mais en fait c’est pas ça. Il est coincé parce qu’il a dit oui, donc il se sent obligé de le faire, donc il le fait. Parce que quand on décide à sa place, il fait. Il ne sait pas décider. À la fin de sa vie, on retrouve un homme qui s’est rangé. C’est monsieur tout le monde, père de famille, mais ce n’est pas lui qui a décidé tout ça.

Louis souffre beaucoup de ses indécisions. Il semble bloqué dans l’ennui, dans la solitude. Il ne parvient pas à s’épanouir. Il a une vie qui n’est pas facile. Pourtant ça finit par une petite note optimiste, comme souvent dans vos romans. Est-ce que c’est un message que vous voulez faire passer à vos lecteurs ?

Non, pas spécialement. D’ailleurs, il y a beaucoup de mes lecteurs qui me disent : « Bah ça se termine mal dans vos livres. » Dire que celui-là est sur une note optimiste : oui et non. Car en fait, il n’a pas eu la vie qu’il voulait. Il aurait aimé être un artiste, un peintre. Certes il est un peu comme Arthur Rimbaud qui est un poète que je vénère. Parce que Louis a quand même peint, et quand sa peinture commence à être un peu reconnue par la critique et qu’il y a une exposition qui est organisée de ses tableaux, il fait un peu comme Rimbaud qui est parti dans une autre vie et qui utilisait le mot « rinçure » pour dire que tout ce qu’il avait fait avant, ça ne valait rien. Louis est comme ça. L’exposition ne l’intéresse pas. De savoir que ses tableaux prennent de la valeur et sont considérés, ça ne l’intéresse plus. Il n’a pas eu la vie qu’il voulait de toute façon, de A à Z. C’est quelqu’un qui s’ennuie profondément pendant toute sa vie mais pourquoi, on ne sait pas très bien.

En fait, j’aime bien laisser mes lecteurs se poser des questions et essayer de trouver leurs réponses à eux, chacun par rapport à ce qu’ils sont. Laisser des portes ouvertes où je ne dis pas les choses.

La peinture a donc beaucoup d’importance pour Louis à un moment de sa vie. Et pour vous, la peinture, elle représente quoi ?

Rien du tout ! (rires) Je suis parfaitement incompétent en peinture. Il y a des peintures que j’aime bien. Je suis très sensible à la peinture impressionniste. Mais par contre toute la peinture figurative ne m’intéresse pas. En matière de travail de peinture, travail du peintre, je n’y connais rien du tout, donc j’ai fait beaucoup de recherches pour ce livre. C’est vrai que dans ma famille on peignait un peu, vous savez les peintres du dimanche. Mais pas moi. J’ai jamais été capable de peindre. Au début du livre je parle de cette peinture de château qui est demandée par le professeur de collège. Cette histoire-là m’est arrivée, mais ce n’était pas du tout ça. J’avais fait un château fort qui était vraiment un château fort (pas abstrait) mais c’était une horreur. Et le professeur a réagi de la même façon. Mais sinon, non, la peinture moi j’y connais rien. C’est vraiment la musique mon domaine.

Et pour ce qui est de la culture russe ? Car il y a quand même un gros passage qui se déroule en Russie, et auprès de la famille de Dimitri, le seul et unique ami de Louis.

Alors la Russie c’est un pays que je connais bien, auquel je suis très attaché. J’y suis allé de nombreuses fois, à l’époque soviétique, et puis après à l’époque « non communiste », on va appeler ça comme ça. J’aime beaucoup la littérature russe, j’aime beaucoup la musique russe. C’est un pays que j’aime beaucoup. Les Russes sont des gens très sympathiques, et d’un coup on ne sait pas pourquoi ils deviennent désagréables. Ils sont très excessifs, et ça j’aime bien. C’est un pays magnifique. C’est pourquoi je suis navré de ce qu’il se passe en ce moment là-bas. C’est un pays avec lequel j’ai beaucoup d’attaches qui remontent à très longtemps. Je parle un peu russe, mais je ne le parle pas aussi bien que mon personnage dans le livre. J’ai appris le russe un petit peu et je peux me débrouiller là-bas.

Est-ce que vous avez d’autres projets d’écriture en cours ?

Oui, bien sûr. J’ai un livre qui est pratiquement terminé. En fait, mes livres quand je les écris je les mets en sommeil pendant plusieurs mois pour les reprendre plus tard, pour avoir un œil neuf dessus, je travaille comme ça. Alors ça s’appelle « Tentative d’intrusion ». C’est un livre qui se passe dans une petite ville de province. C’est une petite ville où le centre est habité par un milieu bon chic bon genre extrêmement fermé, et qui ne supporte pas de voir arriver des gens d’un autre monde au sein de leur petite communauté. L’histoire, c’est celle d’une jeune fille d’un milieu beaucoup plus simple qui habite dans les petits pavillons autour de la ville et qui rêve de renter dans ce milieu, d’où le nom « Tentative d’intrusion ». Il y a toute une histoire autour de ça, la confrontation entre les deux milieux… Après il y a beaucoup de complications, beaucoup de choses que je n’explique pas pour l’instant.

Et là je suis sur un autre livre qui va s’appeler « Un secret ». C’est un livre qui ne fera pas plus de 100 pages. Il sera volontairement court. Et pour l’instant il me donne du mal, voilà ! (rires)

Les projets ne manquent pas !

Et pour finir, est-ce que vous auriez quelque chose à dire à nos lecteurs ?

Alors moi, la première chose que j’ai à dire, c’est que je suis content d’avoir des lecteurs. C’est important. Autant pendant des années j’ai pensé que les lecteurs n’avaient aucun intérêt mais c’est faux. Je regrette beaucoup de ne pas avoir pu voir mes lecteurs pendant les deux ans qui sont passés à cause de la Covid. Donc pas de service de presse dans les librairies, pas de salon du livre à Paris. Je serai au salon du livre cette année. S’ils veulent venir me voir ils pourront, même si ça a l’air assez compliqué au niveau de l’organisation cette année puisqu’il y aura trois sites à Paris et non pas un seul.

Ce que je veux leur dire c’est que je les remercie beaucoup de leur fidélité, que j’ai toujours des retours sympathiques et que j’ai toujours grand plaisir à les rencontrer. Et que j’attache énormément d’importance aux critiques qu’ils me font, parce que ça me permet d’améliorer mon travail. Vous voyez, je fais une petite parenthèse. J’ai un petit comité de lecture chez moi, qui est familial. Ma femme lit les trente premières pages de mes manuscrits et elle me dit parfois des choses comme « Oh la la ! C’est casse-pied ton truc, ça passe pas ! ». Donc à ce moment-là, soit je remanie, soit j’arrête. Après j’ai deux de mes enfants qui lisent le manuscrit quand il est fini et qui me disent : « Bah oui, c’est bien. » ou bien « Là, il y a des longueurs. » Parce que, en fait, la jeune génération (parce que moi maintenant je ne suis plus tout jeune (rires)) veulent des livres qui ont du rythme. On n’est plus à l’époque de Balzac évidemment.

Donc mes lecteurs sont très importants, voilà. J’aime beaucoup avoir du contact avec eux. C’est même essentiel. Un auteur sans lecteur, il n’existe pas. Je les aime beaucoup, j’ai besoin d’eux !

Son écriture est forte et prenante. Il s’agit de ce genre de livres qu’on lit d’une traite. Pour rappel, vous pouvez trouver le roman de Marc Desaubliaux Un homme sans volonté, paru en janvier 2022, aux éditions Des auteurs des livres.

Le site de l’auteur : https://www.marc-desaubliaux.fr/

Soazig Sucher

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